Chinkon Kishin

texte de gérard  BLAIZE

CHINKON KISHIN NO HO : la méthode pour calmer l’âme
La plupart des pratiquants d’aikido débutent encore leurs cours en effectuant des exercices
combinant des mouvements du corps, la prononciation de noms, des respirations associées à des
visualisations, semblables à ceux que pratiquait le fondateur de l’aïkido.
Ces exercices sont au Japon désignés sous le terme de CHINKON KISHIN NO HO, c’est-à-dire la
méthode pour calmer l’âme. Cette définition surprendra beaucoup de pratiquants d’aikido qui ne se
doutaient certainement pas du but de ces exercices.
Mais ces exercices, quels sont-ils? d’où viennent-ils? comment sont-ils encore pratiqués
aujourd’hui? quelle en est leur utilité?

  • Les exercices de CHINKON KISHIN NO HO et leur origine

C’est à un moine shintoïste bouddhiste, KAWATSURABONJI, né en 1862 et mort en 1929, que
nous devons ces exercices. Il avait en effet remis en fonction un système d’étude pour se purifier (misogi)
qui existait dans le shinto d’avant l’ère de Nara, shinto qui n’avait pas encore été influencé par le
bouddhisme et le confucianisme. Ce système comportait une série d’exercices aux noms difficiles pour un
occidental: FURUTAMA – OTAKEBI – OKOROBI – IKUBI NO HO – AMANO TORIFUNE.
FURUTAMA: cet exercice s’effectuait en position assise (seiza). Après avoir récité le NORITO SOJO,
on secoue les mains serrées de haut en bas, jusqu’à ce que le haut du corps lui-même soit secoué, tout en
prononçant le nom de HARAIDONO OKAMI (terre des divinités de la purification dans la mythologie
shintoïste). L’on disait qu’après cet exercice, il était possible de prévoir ce qui était bon ou mauvais.
OTAKEBI : c’est la méthode utilisée par exemple par le sumo (lutte japonaise). Les deux pratiquants se
mettent face à face et chacun à tour de rôle lève une jambe puis l’autre. C’est la façon d’être conscient de
TOKOTACHI NO MIKOTO qui fait corps entre soi et le divin. Dans la mythologie shinto, c’est
l’exercice qu’effectue AMATERASU 0 MIKAMI quand il accueille SUZANO NO MIKOTO.
OKOROBI: c’est le cri qui exprime la puissance divine de TOKOTACHI NO MIKOTO. On prononce
I.. .É pour faire entrer toutes les âmes mauvaises et ensuite prononcer É…1pour qu’avec ce cri les âmes
mauvaises reviennent à ce qu’elles étaient à l’origine.
IKUBI NO HO: c’est la méthode de respiration qui amène en état d’uniformité avec Dieu.
AMANO TORIFUNE : après la prière, on s’asperge ou on entre dans l’eau et on fait ensuite cet exercice.
KAWATSURA BONJI pensait que grâce à cette méthode ascétique, on pouvait réaliser
l’unification entre les âmes presque innombrables résidant dans toutes les cellules du corps et le NAOI,
c’est-à-dire la conscience potentielle suprême, qui est la conscience originelle et qui dirige ces âmes
innombrables.
Le fondateur de l’aikido avait pratiqué ces exercices avec KAWATSURA BONJI et il les a
introduits dans l’aikido. HIKITSUCHI Sensei rappelle par exemple qu’en 1953, Maître Morihei Ueshiba
pratiquait ces entraînements de OMUSUBI (IKUBI NO HO) – OTAKEBI – OKOROBI.
Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette pratique?

  • La pratique actuelle du CHINKON KISHIN NO HO

Dans la plupart des dojos, quand cette méthode est encore pratiquée, elle s’arrête en général à
deux exercices: TORIFUNE et FURUTAMA. Mais telle que mon professeur Maître Michio
HIKITSUCHI me l’a enseignée et que je continue à pratiquer aujourd’hui, on retrouve les différents
exercices décrits par KAWATSURA BONJI, même si la manière de les pratiquer a été modifiée. Le
FURUTAMA, par exemple, se pratique debout et non à genoux et il s’intercale entre les exercices de
TORIFUNE, sans s’asperger d’eau bien sûr.
La pratique du CHINKON KISHIN NO HO commence par un exercice de « respiration» par les
mains. On visualise comme de « l’air» qui rentre dans les mains tout en les dirigeant alternativement vers
la terre ou le ciel; ensuite quatre frappes dans les mains qui symbolisent les quatre éléments: le ciel, le
feu, l’eau et la terre; puis les mains en forme de cercle posées sur le ventre, on visualise différents sons (I
– KU – MU – SU – BI .. ) tout en inspirant et expirant. Maître HIKITSUCHI donne une belle image de
ces visualisations: « Lorsque vous expirez avec le son l, vous regardez avec l’âme comment ce souffle se
détend dans l’univers; puis vous inspirez avec le son KU et vous regardez avec les yeux de l’âme
comment ce souffle circule dans votre corps. »
Suivent ensuite les exercices de TORIFUNE et de FURUTAMA. Dans le TORIFUNE, tout en
prononçant le son HO en avançant les mains et le son El en les tirant
, on visualise que l’on « pousse» ou
que l’on « tire» la Terre. Dans le FURUTAMA, les mains jointes à hauteur du nombril, on les secoue tout
en prononçant les noms AMATERASU 0 KAMI (la déesse du soleil), OHARAIDONO 0 KAMI (le dieu
de la purification), AMENO MINAKA NUSHI NO 0 KAMI (le dieu du centre de l’univers). La
prononciation rythmée de ces noms de divinités de la mythologie shinto facilite l’exercice: la pensée est
accaparée, la concentration entre les deux yeux facilitée et le corps se détend.
Le Kiaï fait suite à ces deux exercices : les doigts croisés à hauteur de la tête, les pouces et les
index dirigés vers le ciel, en poussant le son É… I on les ramène très vite au niveau du ventre
.
L’on termine cette préparation par une série de mouvements circulaires destinés à diriger dans tout
le corps l’énergie qui s’est accumulée dans le ventre et la poitrine.

  • L’utilité de ces exercices

La conclusion de cette deuxième partie est déjà une réponse à la question que l’on peut se poser
sur l’utilité d’une telle pratique qui n’est plus de notre époque et qui à nos yeux relève trop de la
croyance.
Tout cela, je le partage; mais ces exercices sont à notre disposition et il suffit de s’exercer
correctement pour en découvrir les bienfaits, même plus leur importance.
Quand on parvient à s’investir dans l’exercice de visualisation des sons (I-KU-MU-SU-BI … ),
très vite l’intérieur du ventre devient chaud. Cette sensation de chaleur peut même devenir comme une
sensation de brûlure et se répartir dans la poitrine. Cela en est presque dérangeant car il y a toujours
l’inquiétude de savoir ce qui se passe. De même pendant le FURUTAMA, une sensation de chaleur sera
vécue dans les avant-bras, les bras et parfois dans les jambes. Nous avons ainsi grâce à des exercices
assez simples une bonne expérience renouvelable de la circulation de quelque chose de chaud dans notre
corps et nous pouvons mieux comprendre pourquoi le fondateur de l’aikido dans les films, quand il
explique l’exercice de I-KU-MU-SU-BI monte toujours, dans un mouvement circulaire, sa main du ventre
vers la poitrine. Il indique le circuit de cette « masse» de chaleur dans le corps quand l’exercice
fonctionne bien.
Une autre expérience très intéressante se réalise avec le TORIFUNE et le FURUTAMA. Dans le
TORIFUNE, si on arrive à bien unifier les mouvements de son corps avec les sons EL .. HO, le son de sa
propre voix se modifie; il devient plus profond, plus grave, mais en même temps plus doux. A ce moment
la vitesse du mouvement de son propre corps s’accroît naturellement, sans entraîner d’essoufflement.
Dans la pratique du FURUTAMA, les mains peuvent se mouvoir de plus en plus vite, indépendamment
de notre volonté et le corps au lieu de se durcir va se détendre et faciliter ainsi la circulation d’énergie. Il
sera alors possible d’appliquer ce même genre d’expérience dans l’exécution d’une technique.
Ces expériences offrent en outre d’autres intérêts que je laisse à chacun le soin de méditer. Maître
Ueshiba intitule une de ses conférences « l’aikido est l’agissement merveilleux du KOTOTAMA… ». Or
le KOTOTAMA(l’âme des mots) est la croyance que les mots et les sons possèdent un esprit et une
puissance (TAKEMUSU AIKI p.l92 de la traduction française- éditions du Cénacle). De vivre à notre
niveau, dans notre propre corps, les effets des vibrations des mots que nous prononçons pendant un
exercice va aiguiser notre curiosité et nous faire accepter de nous intéresser aux explications du fondateur
de l’aikido sur le KOTOTAMA et par là même découvrir ce qu’est vraiment l’aikido de Maître Morihei
Ueshiba, à quel niveau de perception de l’être humain et de l’univers il se situe.
Il y a environ une quinzaine d’années au Japon, des personnes ne pratiquant pas l’aikido
s’intéressèrent cependant au fondateur de l’aïkido et recherchèrent particulièrement à expliquer comment
cet homme avait développé de telles capacités. Une des explications qu’elles proposèrent fut que Maître
Morihei Ueshiba avait trouvé un équilibre du corps grâce aux techniques, un équilibre de la respiration
grâce au CHINKON KISHIN NO HO et un équilibre de l’esprit grâce à sa rencontre avec DEGUCHI
ONISABURO et que ces trois équilibres lui avaient permis d’utiliser le vrai KI.
Je ne sais pas ce que cela veut vraiment dire, mais pourquoi ne pas à notre tour profiter du
CHINKON KISHIN NO HO pour chercher à découvrir cet équilibre de la respiration? Quant à
l’équilibre de l’esprit, à chacun son chemin…

Gérard Blaize 7ème dan Aikikaï de Tokyo

commentaires
  1. 38mmx dit :

    Merci à G. BLAIZE pour ces explications . Pratiquons

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